wrovember-17-nov-2023

Consigne

Type : Animal POV
Contrainte 1 : 1000 mots maxi
Contrainte 2 : pas de contrainte 2

Texte

Le bruissement des feuilles réveilla son attention.
Il s’était assoupi sous les racines de cet arbre gigantesque depuis un certain moment déjà et l’obscurité était tombée tout autour de lui.
Réveillé par un terrifiant vacarme au creux de son précédent sommeil, il avait été contraint de quitter son abri pour fuir le danger. Les premiers instants de son réveil avait été de constater la présence d’une colossale machine déchiquetant son gîte dans un bruit assourdissant, et faisant pleuvoir sur son corps et sa tête des monceaux entiers des branches et feuillages qui le composaient.

Rassemblant tout son courage, il avait couru tête baissée par l’unique issue possible en quête d’une nouvelle cachette. Haletant et désespéré, très rapidement il s’était retrouvé dans un vaste désert de terre et d’herbe ras ne lui offrant pas le moindre refuge à portée de sa courte vision. Le Soleil frappait fort, il faisait excessivement chaud et la luminosité brouillait encore plus le peu qu’il arrivait à apercevoir autour de lui. Sans autres options, il courut, alors que le bruit de la machine s’étouffait peu à peu à mesure qu’il s’en éloignait.

Enfin, il trouva un autre buisson. Il inspecta rapidement les lieux et ne sentit pas d’odeur particulièrement menaçante et s’engouffra dans cet abri de fortune. Il jeta néanmoins un coup d’œil derrière lui pour espérer apercevoir son nid douillet, mais ne pu que voir un amoncellement flou de végétation là où il était certain d’avoir passé toutes ses dernières nuits.

Bien caché au centre de son abri, il s’enroula sur lui-même afin de s’assurer de sa sécurité. Prudemment, il garda la tête sortie afin de pouvoir flairer toute présence autour de lui et ses oreilles restèrent aux aguets.

De longues minutes passèrent, pendant lesquelles une soupe de bruits diffus et plus ou moins lointains emplirent sa capacité d’écoute, mais rien ne semblait approcher. Lentement, il commença à se détendre à nouveau. Le danger semblait écarté et rien ne le guettait à présent. Néanmoins, il était hors de question de s’assoupir à nouveau dans ce milieu inconnu et hostile.

Il se remit sur ses pattes, passa la tête par la sortie et inspecta à nouveau les environs. Odorat, ouïe, il fait appel au meilleur de ses sens pour identifier la meilleure route à prendre, puis se décida à l’emprunter.

Il courait toujours, à faible vitesse pour ne pas s’épuiser, mais suffisamment rapidement pour quitter ce désert où tous les dangers du monde pouvaient lui tomber sur le coin de la tête. Sa course folle dura de longues minutes avant qu’il ne se retrouva à l’abri d’un arbre, à l’ombre et loin du tumulte. Identifiant une ramification de racines suffisamment dense et cachée, il se mit en quête d’une quantité suffisante de feuilles tombées et les ramena dans son énième cachette. Il les amassa en tas et s’en fit un petit nid temporaire dans lequel il parvint de nouveau à s’assoupir.

Il ne fut pas dérangé jusqu’alors et pu terminer sa nuit agitée. Mais avec le crépuscule naissant, sa journée commençait, et sa cavalcade lui avait terriblement donné faim.

Prestement, il bondit en avant en direction du bruit, se servit de ses griffes pour dégager les feuilles et son nez s’emplit cette fois-ci d’une délicieuse odeur dont la source se retrouva très rapidement prisonnière de ses dents. La sensation était agréable, surtout après une nuit si compliquée. La destruction de son foyer, sa course pour sa survie, l’incertitude de son avenir semblaient s’effacer progressivement à mesure qu’il consommait son repas et que ses papilles se réjouissaient de ce mets délicat.

Il se délecta un instant de son premier repas et s’accorda une légère pause pour analyser son environnement. Il connaissait des endroits plus hospitaliers qu’il avait déjà visité, mais il devait se rappeler de la trace.

Avec approximation, il se remit en route, tâchant de faire le moins de bruit possible et en essayant de rester sous le couvert des maigres végétations qu’il croisait sous sa route.

La piste odorante arriva sur un amoncellement de pierre, comme une grande tour qui le dominait largement, bien plus haute que ce qu’il n’arrivait à voir de sa petite taille. Il entreprit d’en faire le tour afin de poursuivre sa route, mais se heurta rapidement à un maillage de branchages étranges, entremêlés de sorte à ce qu’il ne puisse pas passer. Il tenta d’y trouver une faille, mais il connaissait bien l’endroit et savait pertinemment que ce drôle d’assemblage n’était pas franchissable. Une fois, il avait tenté de creuser pour passer au-dessous, mais il n’avait jamais réussi à creuser suffisamment profondément pour le franchir de cette façon.

Il tenta de passer de l’autre côté de la tour mais y trouva le même obstacle et se résigna donc à le longer, espérant y trouver une faille, frustré par l’odeur de sa piste qui partait résolument au travers et s’en éloignait.

Pendant des heures, il trottina à ses côtés. S’arrêtant régulièrement à l’aune de bonnes odeurs de repas avant de reprendre sa route. L’inespéré arriva, et alors qu’il commençait à perdre espoir tandis que les premiers rayons de Soleil commençaient à poindre à l’horizon, ces étranges branchages présentèrent une faiblesse dont il pu profiter pour traverser. Enfin de l’autre côté, il partit perpendiculairement pour retrouver son chemin initial.

Au bout de quelques mètres, le doux contact de la terre et de l’herbe quitta ses pattes et il sentit quelque chose de différent. Une surface non pas dure comme la pierre, mais rugueuse, légèrement friable et rebondissante. Il connaissait bien cette surface, il l’avait déjà rencontrée à plusieurs reprises et son souvenir était gravé dans sa mémoire.

Il eut un mouvement de recul, hésitant, mais il n’avait pas le choix. Il devait traverser. Il se souvint de sa fuite lors de sa dernière nuit et la manière dont il avait refusé à la machine sa violente agression. Il n’allait pas se laisser impressionner une nouvelle fois par les terribles sévices de son environnement.

Il partit tel une fusée, à tel point que ses pattes ripèrent légèrement sur la terre et il bondit sur la surface sombre et porteuse de mauvais augures. Puisant dans toutes ses forces, bien aidé par les délicieux repas dont il s’était repus tout le long de sa route, ses enjambées le firent aller à une vitesse qu’il n’avait jamais atteinte. S’il n’avait pas si peur, l’expérience l’aurait probablement fait sourire, voire rire. Il semblait flotter au-dessus du sol tant ses pattes le propulsaient rapidement et le vent qui fouettait son visage lui offrait une sensation qu’il ne ressentait pas souvent.

Malgré tout, le sol se mit à vibrer en-dessous de lui, et l’angoisse reprit le dessus sur l’excitation. Ce danger, il le connaissait bien, et il était de retour. Son rythme ralentissait à mesure qu’il s’épuisait, mais il tenta le tout pour le tout et puisa dans ses dernières réserves d’énergie.

Enfin, il vit de nouveau la rassurante couleur de la végétation. Il se jeta dedans, se roula en boule juste au moment où un nouveau vacarme traumatisant emplit l’espace et satura ses tympans. Le son disparu aussi vite qu’il n’était apparu et le sol s’arrêta de trembler.

Il mit de longues minutes avant d’oser sortir sa tête enfouie au creux de ses bras, mais l’extérieur était de plus en plus éclairé et de nouveaux dangers ne tarderaient pas à apparaître. Il se remit en route, et au bout d’un long chemin arriva enfin dans l’endroit qu’il recherchait depuis le début de sa journée.

Un endroit dense et labyrinthique, où l’herbe était haute, la végétation colorée et variée, où commençait à croiser de nombreuses bestioles volantes et marcher de nombreuses autres rampantes.

A l’occasion d’un buisson semblant être sûr, il se hâta de rassembler de nouveau quelques feuilles pour en tapisser l’intérieur et se roula douillettement à l’intérieur. Un sourire au coin des lèvres, il écouta les bruits se dissiper autour de lui, heureux d’avoir survécu à cette nouvelle journée et sombra dans un nouveau sommeil qui devrait, pour un moment tout du moins, le préserver de tous les dangers.

Wrovember 14 Novembre 2023

Consigne

Type : histoire courte (un début et une fin)
Genre : mythologie
Contrainte 1 : 30 minutes max
Contrainte 2 : pas de contrainte 2

Texte

“Arrête de me reprocher sans cesse la même chose !”

Le cri perçant, la plainte arrachée, l’angoisse exprimée de la jeune femme avait soudainement fait frémir jusqu’à la dernière brindilles du plus éloigné cyprès de la mégastructure. Le silence s’était soudainement fait. Alors que la faune de la journée, épuisée de sa journée d’activité laissait progressivement sa place aux créatures de la nuit à mesure que le Soleil descendait dans le ciel pour percuter l’horizon et que les divers bruitages animaliers commençaient à s’entremêler, tous les acteurs de la nature s’étaient soudainement tu, sidérés par l’appel à l’aide ayant déchiré l’atmosphère.

Dans ce dédale de résineux conçu tant pour le divertissement populaire que pour l’appât touristique et que pour la glorification du savoir faire de la commune, les rires et les peurs simulées avaient laissés leur place à la demi pénombre et au calme, à mesure que les badauds avaient quitté ses allées.

Rien ni personne n’allaient donc être les témoins de l’altercation entre Ariane, jeune femme habituellement enjouée, aujourd’hui terrorisée, et Simon, jeune homme charmeur et autoritaire.

“Mais c’est bien parce que c’est TOUJOURS la même chose avec toi que je passe mon temps à te le répéter.” Lui aussi criait, en marchant tranquillement à sa suite tandis qu’elle tentait de s’enfuir, le visage scrutant chaque virage en quête d’une issue. “Mais quelle merveilleuse idée de nous embarquer dans ce truc en fin de journée ! Je dois te rappeler qui va devoir payer la caution si on ne rend pas la voiture à temps ?”
“Arrête, j’en peux plus, arrête”.

Ariane sanglotait, les mains désormais écrasées contre ses oreilles pour le faire disparaître, au moins pour le bien de ses tympans et de son esprit. Un coude appuyé contre la haie terriblement bien taillée pour la faire paraître telle un mur infranchissable, elle était complètement perdue. Perdue, car la sortie lui échappait totalement. Voilà maintenant trop longtemps qu’elle s’était aventurée dans quelque chose dont elle ne parvenait plus à sortir.

Epuisée, elle pivota sur elle-même un instant, avant de s’effondrer et de glisser le long du cyprès pour se retrouver à terre, les jambes recroquevillées. Elle ne l’écoutait plus, mais l’entendait toujours crier.
“… et ça c’était toi aussi ! La fois où on est arrivés hyper à la bourre et qu’on s’est affichés devant tout le monde, c’était la faute à qui ? La tienne !”

Il se rapprochait d’elle, pointant un doigt accusateur. Il était dans un état de rage au moins équivalent à son état de détresse. Il ne semblait pas s’inquiéter le moins du monde du fait qu’elle était maintenant affalée au sol, complètement incapable de se relever, de retirer les mains de ses oreilles, de comprendre ce qu’il lui assainait ou même de le fuir. Un bref regard à droite ne lui dévoila qu’une longue allée dont on ne voyait plus le bout. On ne pouvait que deviner les virages perpendiculaires qu’ils avaient probablement déjà parcourus ensemble depuis des heures, cherchant leur sortie.

Simon faisait les cents pas à ses pieds. Hurlant, baissant d’un ton, ricanant. L’intonation de sa voix changeait à chaque instant rendant son discours parfaitement incohérent.

Il s’arrêta soudainement, sa logorrhée brutalement interrompue par quelque chose qui échappa à Ariane. Elle revint à ses esprits, ouvrit ses oreilles juste à temps pour l’entendre chuchoter un bref “j’ai entendu quelqu’un”.

Il se pressa vers le couloir le plus proche, tandis que l’obscurité l’engloutit à demi à mesure qu’il s’éloignait, puis s’arrêta à nouveau pour écouter. Elle tendit l’oreille à son tour. On entendait effectivement quelqu’un, ou quelque chose. Des pas lourds, traînants, qui s’amplifiaient alors qu’ils approchaient. Ces bruits de pas n’étaient pas ceux d’une chaussure foulant l’herbe, mais rappelaient à Ariane de lointains souvenirs. Des bruits de sabots raclant le sol terreux, mais dont le rythme n’avait rien à voir avec ce qu’elle connaissait. Plus régulier, plus léger, plus binaire.

Simon eut un mouvement de recul accompagné d’un faible hoquet de stupeur. Il sembla tétanisé par ce qu’il venait d’apercevoir et ne parvint à faire quelques pas en arrière qu’au bout de longues secondes. Les bruits de sabots s’amplifièrent et s’accélèrent. D’un lointain pas, ils se transforment rapidement en galop.

Et du galop, ils devinrent une charge.

Une ombre gigantesque surgit de l’ombre et empoigna le jeune homme, le fit traverser l’allée en un éclair pour l’encastrer contre le mur végétal. La silhouette le maintenait, enfoncé dans les branchages, une main autour du cou et les pieds flottants un bon mètre au-dessus du sol. Ils restèrent dans cette posture telles deux statues, l’un immobile et terrible, l’autre gigotant et suffoquant.

Puis, l’intrus pivota et le projeta au sol. Simon paraissait être une marionnette désarticulée, l’autre homme le dominait de sa hauteur colossale. Il ploya le genou et, de sa main jusque-là tranquillement posée contre son pagne, se saisit de sa longue hache à double tranchant furieusement jetée à terre lors de sa charge. Sa victime eu à peine le temps de se retourner vers Ariane, de gémir quelques appels à l’aide ou à la pitié, que le géant avait déjà levé haut le bras et l’avait rétracté avec le même geste implacable, le tranchant de sa lame fauchant l’air jusqu’à rencontrer la nuque pour libérer corps et esprit.

Ariane, tétanisée, sentit le temps s’arrêter autour d’elle. Incapable de crier, incapable de bouger, incapable de penser, elle se contenta de garder le regard fixé sur le corps inerte de son compagnon. Elle ne fut arrachée de sa torpeur que par le souffle grave et menaçant de la bête en face d’elle. Levant la tête, elle eut le temps d’apercevoir le fin nuage de condensation quitter son corps chaud par ses larges narines pour rencontrer l’air frais de l’obscurité naissante.

L’individu, tour à tour, contemplait son oeuvre et dévisageait la jeune femme terrifiée. Puis, il pivota les sabots et s’enfuit par le même couloir que par lequel il était arrivé.

Son galop dura quelques secondes et s’évanouit dans la nuit. Ariane, elle, avait déjà rejoint l’inconscience.

Vélodyssée

C’est le cœur et les jambes gorgées de motivation que je me suis lancé dans l’idée de faire un trajet que j’avais en ligne de mire depuis quelque temps : Nantes -> Bordeaux, via la Vélodyssée.
Après tout, j’étais en congés forcés et il me restait 4 jours à occuper.

Mince ! Première difficulté, c’est un retour de vacances, donc les trains sont complets. Pas de problème, il me suffit de faire l’inverse. Me voilà donc en train de réserver un train pour aller à Bordeaux le jeudi matin. Ne me reste qu’à m’élancer en direction de ma maison, avec 3 étapes réservées à l’avance afin d’éviter toute déconvenue.

La veille

Tout avait pourtant très bien commencé la veille par une journée gueule de bois. Une comme on en a pas souvent, une comme je n’en avais pas eu depuis de très longues années. C’est donc les yeux rougis, les muscles lents et l’esprit hagard que j’effectue tant bien que mal les derniers préparatifs de mon périple.

D’abord, des pancakes, remède aux journées difficiles et plaisir pour les papilles.

Les fameux pancakes

Ensuite, préparer la miche de 500 g qui m’accompagnera pendant ces 4 jours. Je peux dire que maintenant j’ai un peu d’expérience, et que j’ai trouvé un excellent compromis alimentaire pour les longues sorties à pédaler. Un gros morceau de pain, un petit pot de beurre de cacahuètes, un petit pot de pâte à tartiner. Tout y est : des céréales complètes, des lipides, du sel et du sucre. J’y connais rien, mais j’ai l’impression que c’est un bon cocktail pour nourrir mon corps sur plusieurs jours d’effort. Au moins, rien de frais à transporter, pas besoin de chercher à manger sur la route, pour ça je suis autonome.

Enfin, faire les sacoches, ne rien oublier, charger l’électronique, vérifier les traces GPS et tout charger sur le dit appareil. Réviser mon parcours, mettre des notes sur mon smartphone : horaires et emplacements des hébergements, horaires des ferrys. C’est bon, j’ai tout.

Pour garder l’esprit tranquille dans la soirée, je commande un plat dans un restaurant que je n’avais encore jamais essayé. 45 minutes plus tard, le coursier en vélo sonne à l’interphone et me voilà en train de déguster un excellent plat de raviolis (veggie, bien sûr !). L’histoire s’arrête là, mais ce qu’elle ne dit pas c’est que ce seront les premiers raviolis d’une longue série.

En vérifiant une dernière fois mon GPS, celui-ci me propose une série de mises à jour. Chouette ! Je vais pouvoir profiter de quelque chose de nouveau pour ma randonnée. Hop, j’accepte avec enthousiasme.

Mais quelle erreur nondidju !

Tout comme on ne fait pas de mise en prod le vendredi, on ne fait pas de mise à jour d’un élément critique la veille d’un départ. Bref, j’y reviendrai.

Je vais me coucher. Serein. Excité. J’ai hâte mais je suis un peu nerveux.

D-Day : boum badaboum.

Et patatras.

Mon réveil sonne, je suis large. Je suis toujours large, je n’aime pas trop courir après les trains.

Je termine les derniers pancakes de la veille, vérifie mes sacs, vérifie mes listes et ferme toutes mes sacoches. Toutes ? Ahah.

Ça y est, il est l’heure, je sors le vélo sur le palier, fais un dernier tour dans l’appartement et verrouille ma porte. Vous savez comme j’ai pour habitude de ne jamais prendre l’ascenseur ? Enfin, sauf quand j’en ai un réel besoin, c’est à dire presque jamais. Et bien, j’ai décidé de changer mes habitudes. Ne faites jamais ça. Jamais. Jamais.

L’ascenseur est bien évidemment trop petit pour accueillir mon vélo, surtout chargé. Mais pas à moi, je suis un expert de la bicyclette ! Ni une, ni deux, je le soulève par les cornes et le positionne en position presque verticale. Ça coince un peu, mais je force, je m’avance, je rentre.

Un petit bruit de frottement sur du tissu, ffff.

Un clong alarmant.

Je baisse les yeux, surpris par ce bruit suspect. J’ai tout juste le temps d’entrapercevoir le sommet de mon smartphone avant qu’il ne disparaisse par l’interstice entre la cage d’ascenseur et le seuil du palier.

J’avais bel et bien laissé une sacoche ouverte, celle contenant mon smartphone, entraînant toute une série de circonstances aggravantes. La position verticale l’ayant fait glisser hors de sa cachette, dans une orientation parfaitement alignée avec le mince interstice menant au vide, il réussit l’exploit de se glisser de manière absolument parfaite dans ce trou le menant à une mort certaine. A l’image d’une lettre glissée par le tiroir d’une boîte aux lettres, mais à la différence du doux bruissement du papier tombant sur une montagne d’autres enveloppes, la dernière chute de mon vieux téléphone s’achèvera, après de très (très) longues secondes, par un multiple fracas amplifié par la caisse de résonance de l’ascenseur.

De longues secondes pendant lesquelles mon cœur s’est arrêté de battre, le temps que mon esprit analyse ce qui était en train de se produire en dessous de moi.

Stupeur, affolement, panique, je ne me souviens pas exactement de toutes les émotions qui m’ont traversé en dehors de celles-ci. Loin de moi l’idée d’avoir un raisonnement purement matérialiste et, pour ne rien vous cacher, ça faisait de toute façon un petit moment que j’attendais qu’il tombe en panne pour pouvoir en changer afin de mettre un terme à sa vénérable carrière de 7 ans. Ce qui m’a immédiatement traversé l’esprit c’était de constater à quel point j’étais, comme tout le monde au final, totalement dépendant de ce petit bout de métal pour un grand nombre de choses. Billets de train, réservation d’hôtel, mes notes et tout simplement mon moyen de contacter des gens et chercher de l’information sur Internet si nécessaire.

J’étais littéralement à poil. Enfin, non, pas littéralement en fait, vous avez compris. Et tellement perdu que j’ai fait la chose la plus irrationnelle que je pouvais faire : je suis descendu (à pied) pour appeler l’ascenseur d’en bas. Oui, à ce moment-là, dans ma tête, si j’ouvrais l’ascenseur tout en bas alors j’y trouverais mon défunt smartphone. Ne cherchez pas, j’étais paniqué.

Je devais prendre une décision, mon train était dans moins de 20 minutes. Est-ce que j’y vais, ou est-ce que j’annule tout ? C’était évidemment décevant de tout annuler. C’était évidemment flippant de partir dans le brouillard comme cela.
Un éclair de génie m’a quand même illuminé l’esprit. Je suis un geek, des smartphones j’en ai à la pelle. Je sais que j’en ai un qui traîne sur mon bureau. Est-ce qu’il marche encore ? Je ne sais pas, on verra bien. Je l’embarque avec moi, le mets dans la sacoche, JE FERME LA SACOCHE, et je me mets en route. J’ai 10 minutes d’avance à la gare, je démarre le téléphone (un vieux coucou sorti en 2011), ouf il s’allume ! Et, enfin un peu de chance, j’avais pris le temps de le réinstaller, de le reconfigurer quelques mois auparavant, il était donc “prêt à l’usage”. Impossible de se connecter au WiFi de la gare pour récupérer mes billets de train. Tant pis ? Tant pis. Je n’ai plus le temps. Je m’installe dans l’Intercités m’emmenant à Bordeaux. Après tout, j’ai l’itinéraire en tête, j’ai mon GPS, je devrais quand même m’en sortir. Le train quitte la gare, c’est parti.

Qu’est-ce que je fais habituellement dans un train ? La plupart du temps j’écoute de la musique, tout le long. Là c’est exclu. Donc il va falloir que je m’occupe. Je démarre le smartphone de secours pour voir ce que je peux en faire. C’est mal barré : y a pas de WiFi dans le train, il est inerte et se contentera de charger. Je me félicite néanmoins d’avoir pris le temps il y a quelques mois de mettre dans ce smartphone quelques contacts importants et surtout une copie suffisamment récente de ma base de données de mots de passe. Au moins, ça devrait me permettre d’accéder à quelques trucs. A noter pour plus tard : toujours prévoir ce genre de cas (au taff, on appelle ça un Disaster Recovery Plan).

Je n’ai jamais autant lu dans un train, tout de même un peu de choses positives. Néanmoins, je m’en lasse vite, et je découvre que lorsque l’on a pas le nez rivé sur un écran ou des écouteurs vissés dans les oreilles on peut toujours se tourner vers les autres humains autour de soi. Je discute avec mes voisins et je m’improvise un peu contrôleur : j’ai l’habitude des trains et je vois pas mal de voyageurs perdus. Ils ont été contents de recevoir de l’aide, ça m’a fait plaisir de papoter et d’aider des gens. Je vous laisse faire vos propres conclusions sur la morale de tout ça.

En revanche, j’ai quatre heures devant moi, je peux commencer à réfléchir à ce que je vais faire en arrivant à Bordeaux. Bien sûr, je dois me mettre en route pour Nantes, comme prévu. J’étais un peu juste pour choper le ferry prévu, là je sais que ça ne sera pas possible. Ça signifie surtout que mon planning initial va être décalé d’au moins 1h30 (le ferry suivant) et risque donc de me faire arriver en retard au premier hôtel. J’y reviendrai.

Je dois surtout récupérer un accès à Internet. Le plan est simple : choper à minima une carte SIM, au mieux un nouveau smartphone ou une batterie externe, la batterie de mon vieux machin est une catastrophe, tenant au mieux 2 heures.
Comment récupérer tout ça dans une ville que l’on ne connaît pas et sans avoir Internet sous les mains ? Et bien c’est peut-être le genre d’exercices que l’on devrait faire plus souvent. On est tellement habitués à sortir son application de cartographie et à faire une simple recherche que sans ça on est relativement perdus. Et vous voulez savoir le pire ? Les aménageurs ont eux aussi compris ça et ne prennent plus la peine d’indiquer clairement les choses.

Où peut-on récupérer une carte SIM ? Chez un opérateur, non ? Y a souvent des boutiques dans les centre-villes, ce sera donc ma destination. Seul problème : je sais pertinemment que mon itinéraire GPS ne passe pas par le centre-ville. Je vais donc devoir forcément m’en écarter et devoir me démerder pour retrouver la trace plus tard. Bon, un problème à la fois.

Ça y est, on arrive à Bordeaux. L’aventure commence pour de vrai ! Il fait chaud, genre très chaud. Je ne le sais pas encore, mais les températures vont frôler les 40°C aujourd’hui. Ça aussi j’y reviendrais bien assez tôt. Je passe le fait que dans une gare fraîchement refaite comme Bordeaux Saint-Jean il n’y a toujours pas de rampe pour monter et descendre les escaliers à vélo. Comme on a l’habitude de le dire dans la communauté cyclo : “on s’adapte”. Je rêve du jour où les aménageurs “oublieront” de faire des bretelles d’accès aux autoroutes pour les bagnoles, mais BREF, je m’égare.

Un Coradia Liner en gare de Bordeaux Saint Jean (YouTube 'Trains of France')

Je profite du WiFi catastrophique de la gare pour télécharger quelques applis bien utiles : Google Maps et SNCF Connect en tête. Ça prend du temps, mais j’y arrive. Je peux faire une recherche pour trouver une boutique mais ma batterie fond effectivement très vite. Comme prévu, c’est dans le centre-ville que ça se passe et ce n’est pas tout près. Je mémorise l’itinéraire approximatif, surtout la direction relative et j’éteins le téléphone. Espérons que la prochaine fois que je l’allume ce sera pour lui mettre une SIM.

Je roule enfin ! Malgré les galères, ça fait quand même un bien fou de pédaler enfin. Ce sentiment de liberté et de bien-être réussit le temps d’un instant à me faire oublier ces mésaventures. Le vent me fouette le visage, le sang circule dans mes veines, je peux respirer à plein poumons. Le kiff.

Je galère un peu à trouver mon chemin parce qu’il y a beaucoup de sens uniques (je kiffe). Finalement j’arrive approximativement au centre, je reconnais une place que j’avais déjà visitée. Au bout d’une bonne vingtaine de minutes de recherche, je tombe finalement sur la fameuse boutique SFR. Je n’ai pas d’antivol, je n’avais pas prévu de devoir faire des arrêts sauvages. Donc qu’est-ce qu’on fait sans antivol ? Ben on laisse son vélo dehors en espérant que personne ne se dise que ce serait intéressant de voler un bon vélo tout équipé pour la rando.
Nan, je déconne. On rentre dans la boutique avec. J’aime pas ça, mais aux grands maux…

Apparemment ça ne gène pas les vendeurs, tant mieux. Malheureusement, je vais ressortir 5 minutes plus tard quelque peu bredouille.

Bonjour, vous vendez des cartes SIM ?

Ah, non, apparemment maintenant c’est uniquement chez les buralistes.

Et vous vendriez pas le Fairphone non plus, par hasard ?

J’avais pas trop d’espoir, mais je suis quand même un peu déçu.

Et sinon, vous avez des batteries externes ?

Oui ! Chic ! Ah ben en fait non, plus de stock.

J’ai rien. R-I-E-N.
Hop, petit saut chez le buraliste. Idem, je gare mon vélo à l’intérieur. Ça a l’air d’être plus gênant, tant pis.
Pas si cher que ça une carte SIM finalement, je m’attendais à bien plus ! 35€ pour 80 Go (lol) de data et 40 SMS (lol lol). Je reprends 20 minutes dans la gueule le temps de réussir à la faire fonctionner. Une aubaine que l’informatique soit mon domaine parce que j’arrive à configurer mon smartphone qui n’arrive pas à accéder au réseau SFR de lui-même. Sans mes connaissances, j’étais marron.

Allez ! J’ai accès à Internet, tout marche enfin, il est temps de se mettre en route ! Les vacances méritent de commencer.
Mais avant ça, je dois retrouver ma route, mais avec l’aide d’Internet c’est finalement pas si compliqué, mais je décide bêtement de me fier à mon instinct. Après tout, j’ai commencé mon voyage en mode jeûne technologique, autant continuer, non ?

J’ai quelques souvenirs de ma première visite à Bordeaux il y a 6 ou 7 ans, donc j’arrive à me débrouiller pour retrouver le chemin des bords de Garonne. J’allume le GPS, je ne suis plus très loin de la trace.

Vous vous souvenez quand je vous avais dit que c’était pas une super idée de faire une mise à jour du GPS la veille d’un voyage ? Ahahahah …
Ben ouais, il marche plus quoi. Je reprends 20 minutes dans les dents le temps de tout réparer, mais spoiler alert: tout le long de ces 4 jours ça ne sera pas glorieux du tout.

Le Quai Louis XVIII et le miroir d'eau de Bordeaux (Flickr Bernard Blanc)

Allez, en route, j’ai un ferry à prendre.
J’adopte une bonne allure pour fuir Bordeaux, mais cette ville est décidément décevante. Des feux rouges mal réglés qui m’obligent à m’arrêter tous les 100 mètres (genre littéralement). Des infrastructures cyclables catastrophiques, des pavés, des bordures de trottoirs dignes d’un escalier, des bagnolards qui sont… Ben des bagnolards. C’est inconfortable, fatiguant et je surchauffe à cause de la température.
Le comble : les pavés ont raison de mon enceinte qui bouge et vient s’abîmer contre une arête tranchante de mon vélo. Pourquoi le comble ? Parce que cette enceinte représentera 600 g de poids mort tout le long de mon voyage : j’ai plus ma musique, forcément. Je l’ai donc portée, abîmée, pour rien. Snif.

Je sors de Bordeaux, le trajet devient plus sympa. C’est des petites routes, souvent boisées et bien roulantes. J’ai une bonne moyenne : 23 km/h de moyenne. Ça parait peu, mais c’est pas mal en fait. Je garde un oeil sur l’heure, je sais quand est le prochain ferry, c’est juste mais ça va le faire. Si je n’ai pas ce ferry, ça va devenir extrêmement compliqué pour arriver à temps à l’hôtel.
Malgré tout, le soleil tape et je commence à me dire que ça ne serait pas une mauvaise idée de s’équiper contre le soleil et ne pas risquer d’ajouter de sévères coups de soleil voir une insolation à mes galères. Je repousse le moment de l’arrêt mais ça devient inévitable. Hop, casquette, crème solaire, me voilà protégé.

J’arrive un peu en avance au ferry, à Lamarque. C’est le moment de souffler un peu ! Je commence maintenant à savourer mon voyage. Mine de rien, j’ai réussi à récupérer le minimum vital pour être confortable, je suis sur ma route, en vélo, c’est agréable, tout va bien. J’en profite pour boire des litres d’eau et remplir mes gourdes. Comme dans le train, je suis coupé du monde virtuel, du coup j’en profite pour discuter avec les piétons qui vont faire la traversée avec moi. Forcément, la présence de mon vélo fait dériver la discussion là-dessus.
Un homme qui me dit “moi aussi j’ai fait des randos en gravel” (allô ? Mon vélo c’est pas un gravel) essaie de me faire comprendre que tracter une remorque à deux roues est bien plus efficace d’un point de vue effort sur une longue distance que mon assemblage de sacoches sur le cadre. Je viens de subir mon premier (?) mansplaining, quel honneur.

Le ferry arrive, je monte et m’installe tout à l’avant, là où se situent les moteurs Diesel du bateau. Le vacarme qui va m’accompagner pendant les 30 minutes de traversée me font plus que penser à la traversée jusqu’à l’Irlande. Au moins, je suis à l’ombre, tranquille et je peux garder un œil sur mon destrier. Je m’assois par terre à côté et commence à déballer mon repas. Je n’ai pas très faim, mais il est 15h30, si je veux tenir sur les 80 kilomètres restants, je dois manger. J’avale difficilement mon repas.

Le ferry, l'Irlande, la Guinness, les moutons, toussa

Le ferry accoste, je débarque, remplis mes gourdes et c’est parti. J’étais très enthousiaste à ce moment-là, ravi même. J’étais pas du tout prêt pour ce qui allait suivre.

Le chemin, le long chemin, qui me sépare désormais des portes de Royan, ma destination pour aujourd’hui, soit environ 60 km allait me mettre à rude épreuve, psychologiquement et physiquement.
Entre Blaye et Mortagne, c’est du marais. De grandes lignes droites, aucune végétation haute, rien à l’horizon. Beaucoup de bagnoles sur la première moitié, rien à contempler, juste du bitume à avaler.

J'ai pô menti

C’est là que je commence vraiment à souffrir et presque à regretter. Je sais que j’ai une heure d’arrivée limite, donc je ne peux pas ralentir, encore moins m’arrêter. Alors je pédale, je pédale, je pédale, et j’essaie de maintenir mon allure. Mais le stress de la matinée et la chaleur commencent à avoir raison de moi. J’ai mal aux jambes, aux genoux, au dos, et J’AI CHAUD. Mes gourdes, elles, se vident à une vitesse alarmante. J’ai la sensation de transpirer immédiatement ce que je bois.

Mon heure limite pour l’hôtel ? 21h. Ou est-ce plus tôt ? 20h30 ? Impossible de me souvenir, et mes notes gisent au fin fond de l’ascenseur à Nantes. Là je commence à angoisser. Si j’arrive trop tard, l’hôtel sera fermé et je serais condamné à dormir dehors ou à trouver une autre solution. Ce serait l’apogée de la galère, heureusement que c’est toujours l’été !

Donc je pédale sans ralentir. Les automobilistes ne ralentissent pas non plus, d’ailleurs. Heureusement, au bout d’un moment, je quitte la route principale et au moins je ne me fais plus raser les moustaches toutes les deux minutes.

La route est toujours droite et désespérément plate. Je rêve d’une petite descente, même d’une petite côte, pour rompre la monotonie, mais rien n’arrivera. De temps en temps, une ferme et plus souvent des usines. Toujours pas d’arbre, au mieux quelques buissons mais rien qui ne puisse me mettre à l’ombre le temps de me rafraîchir un peu. Mes gourdes sont vides.
Je m’arrête malgré tout à la faveur d’un buisson plus gros que les autres histoire de me reposer un peu. Les cyclistes le savent, la plupart des buissons en bord de route héberge le meilleur ami du cyclotouriste estival : des mûres ! Je mange un peu, mais c’est d’eau dont j’ai besoin actuellement. Je m’assois par terre pour reposer mes jambes.

Au loin, je vois un groupe de 3 cyclotouristes approcher. Une famille. Ils me demandent si ça va, me dépassent et commencent à s’éloigner à l’horizon. Je me motive à remonter en selle et me voilà reparti. Bien vite, je les ai rattrapés et commence à discuter avec eux. Ça me requinque un peu. On plaisante sur cette route de l’enfer, on échange nos itinéraires, ils se rendent exactement au même endroit que moi mais ont tout le matériel pour camper. Ils feront une étape bientôt, ils ne sont pas aussi téméraires (comprendre : fous) que moi à faire le trajet d’une seule traite.

Je les distance bien vite, je suis toujours pris pas le temps et mon nouvel objectif est de trouver au plus vite un point d’eau. Je fais un constat alarmant : malgré les quantités d’eau bu depuis mon départ de Bordeaux, ma vessie ne semble pas s’être remplie du tout. Je crains l’insolation voir la déshydratation, donc j’accélère.

Heureusement, plus j’avance, plus ça devient facile (lol : non, pas du tout). Je commence vraiment à douter, j’ai du mal à maintenir mon rythme et la route est vraiment horrible. Toujours des lignes bien droites, et bien que j’ai quitté les marais et que je me retrouve désormais sur des dunes côtières ou des canaux, le plein soleil ne m’a pas quitté et j’ai troqué le bon bitume pour de la caillasse. Je commence à réfléchir à mes options, mais je n’en ai qu’une : arriver à l’heure à l’hôtel.
Je fais quelques calculs pour savoir si malgré tout je peux y arriver. C’est possible, mais je dois maintenir une certaine allure. Mon obsession va donc devenir ma vitesse moyenne, elle ne doit pas descendre en dessous de 20 km/h, sans quoi j’arriverais trop tard.
Je résume : être au-dessus de 20 km/h, remplir les gourdes dès que possible, arriver à l’heure.

Je fais des micro-pauses très régulièrement : j’essaie d’avaler quelque chose de sucré pour me redonner de l’énergie mais ça ne passe pas, je suis incapable de manger, c’est inquiétant. Le soleil s’approche de l’horizon, ce qui signifie le début de l’activité des bestioles assoiffées de sang : à chaque pause, je me fais assaillir par des dizaines de moustiques, m’obligeant à me remettre en selle. L’un dans l’autre, c’est bien, ça m’empêche de m’arrêter. Sur mon chemin se dresse une belle côte. J’avoue, je fais une partie à pieds pendant que les moustiques se régalent de mon sang déshydraté.

J’ai les yeux rivés sur les kilomètres restants affichés sur mon GPS. Je vois défiler chaque centaine de mètres. Je me motive comme je peux : “courage, il ne reste que 20 km, tu peux le faire tu viens d’en faire 110 !”. Ça marche pas ça, hein, qu’on soit tous d’accord.

J’alterne encore et encore entre pédalage intensif et repos, mais le stress m’assaille. L’obscurité arrive, ma moyenne s’effondre, ça me semble dorénavant très compliqué d’arriver à l’heure. Je me raccroche aux villes que j’aperçois à l’horizon. A chaque fois, je m’auto-persuade que c’est mon objectif. C’est bien évidemment faux, mais ça marche.

Plus que cinq kilomètres. Je suis dans un sous-bois, mais de toute façon le soleil ne tape plus depuis un long moment déjà. En revanche, se dresse devant moi une nouvelle très grosse côte. Je me retiens de pleurer. Je rassemble mon courage, la monte d’une traite, je suis bientôt arrivé et il faut absolument que j’avance. Une fois en haut, ne restera qu’à la redescendre. En bas de la pente, m’attendra ma destination.

Enfin ! Me voilà dans la ville, Saint Georges de Didonne. Mon hôtel se trouve quelque part là-dedans. Une circulation de dingue, j’apprendrais plus tard qu’un festival avait lieu sur la plage, attirant énormément de monde. Les automobilistes bouchonnent et bloquent la route, ils cherchent des places pour se garer, freinent, accélèrent et ont des trajectoires erratiques. Ils font n’importe quoi, comme d’habitude. Ils m’empêchent de passer, j’enrage, j’alterne entre sprint pour les dépasser et freinage d’urgence pour éviter une manœuvre malheureuse d’un conducteur inconscient. Comme la fatigue m’assaille, je me rends compte que ma vigilance a largement baissé et que mes propres trajectoires sont dangereuses. Heureusement, j’en prends conscience et redouble de vigilance. Faire attention pour deux, c’est aussi le mantra des cyclistes.
Les minutes défilent alors que je suis bloqué dans la circulation. L’hôtel ferme à 21h, il est 20h50.

Saint Georges de Didonne, de jour. Pas un chat pour la Google Car.

Un panneau finit par m’annoncer l’hôtel (!), je cherche un peu mais finit par tomber dessus. J’attache rapidement mon vélo là où je peux avec mon petit câble de voyage, “l’antivol de dissuasion”, et pousse la porte.

Je m’effondre sur le compteur de l’accueil. JE - L’AI - FAIT. Ce soir je dormirais dans un lit.

Mon hôtesse m’accueille et m’amène à ma chambre, une sorte de petit chalet dans l’arrière-cour. Je tente de lui conter mes mésaventures le temps du trajet pour faire la conversation, mais je me rends compte que je suis trop fatigué pour avoir un discours intelligible et je laisse tomber. J’attache le vélo dehors, de manière approximative mais advienne que pourra, je n’ai plus envie de m’embêter, juste de m’allonger. Je me jette sur le lit et m’endors presque aussitôt.

Réveillé malgré tout quelques dizaines de minutes plus tard, je me rappelle qu’il serait probablement de bon ton d’avaler quelque chose. Je cherche un restaurant pas loin qui me donne envie. En attendant, j’essaie de grignoter quelques petits trucs. Mon palais est totalement enflammé, impossible de mâcher ou d’avaler quoi que ce soit. Que se passe-t-il ?

Je sors et me dirige à pied vers le restaurant mais abandonne au bout de 200 mètres. Je m’assoie par terre pour reprendre mes esprits et décide finalement de rentrer. J’ai du mal à me motiver à prendre ma douche mais je n’ai pas vraiment le choix. Me coucher dans cet état de saleté serait un crime abominable.

Enfin propre et dans le lit, j’essaie de parer au plus urgent. J’envoie un SMS aux proches pour les rassurer et les tenir au courant de la situation et je commande une nouvelle carte SIM afin qu’elle arrive au plus vite. J’essaie de commander un nouveau smartphone pour les mêmes raisons mais j’ai besoin de mon numéro de téléphone. Bon nombre de mes applications et services sont verrouillés par de la double authentification, et l’initialisation de ma double authentification nécessite un accès à mon numéro de téléphone. Le serpent qui se mord la queue. Beaucoup de choses me sont totalement verrouillées. Tant pis, j’ai quand même l’essentiel.

Je me couche, m’endors vite, la nuit va être très agitée.

Jour 2 : la remontada

Tût, tût, tût. Le réveil sonne. Je ne vous cache pas que j’ai beau avoir du mal à me réveiller de manière générale, là on est tout de même à un niveau sacrément différent.
Comme à mon habitude, je jette un œil à ma montre qui me fait un bref résumé de ma nuit et j’hésite entre le fou rire et l’état de sidération. Elle m’indique une très mauvaise nuit (bon, pour savoir ça j’avais pas vraiment besoin d’elle), un état de ma fréquence cardiaque abominable, beaucoup d’agitation et une body battery de 26/100 (j’suis sensé être à 100 en sortant d’une bonne nuit). La journée va être rude.

J’ai beaucoup de mal à me lever mais je dois absolument y aller. L’objectif est de partir à la fraîche et de retarder au maximum le moment où je roulerais en plein soleil. C’est parti, je pédale. Surprise, c’est certes difficile, mais beaucoup moins que prévu. Au final, le plaisir de rouler reprend le dessus sur la fatigue et les diverses douleurs et le sourire me revient aux lèvres. Après tout, c’est les vacances et les galères sont derrière moi, il est temps de profiter un peu.

Malgré tout, je décide de ne pas jouer avec le feu. Mon itinéraire du jour me faisait passer de la banlieue de Royan jusqu’à La Rochelle, en passant par la côte. Je sais que sur la route il y a Rochefort et qu’entre Rochefort et La Rochelle il y a une liaison ferroviaire. Après tout, je l’avais fait la veille dans le sens inverse ! Je ne roulerais pas jusqu’à La Rochelle, à la place, je m’économiserais 30 kilomètres en empruntant un TER. Mine de rien, le fait de raccourcir mon trajet me motive.

Le début est vraiment cool. Tout d’abord de vraies pistes cyclables confortables au bord de l’eau. Elles me font passer à côté du parc animalier de La Palmyre. Je me souviens avoir envisagé de m’y arrêter pour y faire un tour. J’ai beau de pas aimer du tout les zoos, il n’y a malgré tout rien de plus apaisant et réconfortant de passer du temps à regarder des animaux vaquer à leur petite vie.
Bon, même pas en rêve, hein. J’ai pas le temps de m’arrêter.

Je troque mon bord de Garonne pour une belle piste qui traverse un vaste sous-bois jusqu’au bord de l’île d’Oléron. Bord de plage oblige, c’est des dunes, donc le chemin est une succession de mini côtes et de mini descentes, c’est très agréable. Il y a un côté un peu montagnes russes, et même si on n’est évidemment très loin des sensations d’un Europa Park, je me prends au jeu et apprécie cette longue succession de bosses et de creux. C’est franchement dur pour les jambes, mais c’est surtout très agréable. Il fait frais, le paysage est somptueux, je croise beaucoup d’autres cyclotouristes et la magie de la randonnée à vélo fait enfin son plein effet.

C'est évidemment pas le bon endroit mais ça ressemble un peu. (tourismelandes.com)

Arrivée à Ronce-les-bains. Traversée d’une ville, c’est toujours sympa. Pas efficace en termes d’allure, mais au moins il y a des choses à voir, des gens à croiser et ça brise la monotonie. Malgré tout, je longe maintenant une grosse départementale et je me rappelle avoir vu cette route lors de mes repérages en préparation de mon voyage et je sais donc ce qui m’attend. Dans quelques kilomètres, j’emprunterais un viaduc en apparence bien flippant pour passer au-dessus de la Seudre. Un fleuve bien moins connu que sa voisine la Garonne mais qui ne démérite pas en matière de largeur.

Le viaduc est comme prévu : inconfortable. Très routier, très violent. Le seul bon réflexe à avoir dans ces moments-là est de rouler vite pour en finir le plus rapidement possible. C’est très dommage, car la hauteur du viaduc rend la vue très sympathique, mais malgré la très étroite bande cyclable (au moins y en a une ! Oui c’est à toi que je m’adresse Pont de Saint-Nazaire.), impossible de s’arrêter ou de contempler le paysage, c’est un coup à se prendre un semi-remorque. Bof.

Moins haut que le pont de Saint Nazaire, mieux aménagé. Bon.

A la sortie du viaduc, une dizaine de kilomètres plus loin, m’attendent… Des marais ! Ah non hein, pas encore !
Comme la veille, c’est pas facile. Au moins, ce n’est plus des lignes désespérément droites mais plutôt un slalom au grès des canaux. Mais pour le reste, c’est identique : de la caillasse en guise de route, zéro végétation et un soleil qui commence à taper. J’apprécie tout de même bien plus que la veille car mon état général est meilleur et puis… Changer de décor est quand même cool.
A la sortie des marais, au détour d’un long faux-plat tout droit, mon GPS fait des siennes. Je dois réparer, ça me prend facile 20 minutes. L’idée de remplacer cette machine entêtée commence à germer dans mon esprit. Long story short, pas grand chose à réparer au final, il a juste un comportement vraiment très bizarre. J’ai quand même perdu au moins 20 minutes et 40% de batterie.

Je ne suis plus très loin de Rochefort et donc de ma destination pour aujourd’hui. Je me rappelle que Rochefort est une ville enclavée dans un méandre de la Charente et que trois options s’offrent à moi pour y accéder : emprunter le viaduc routier (no thanks), utiliser le pont transbordeur (j’y reviendrais) ou faire appel à un passeur. J’avais opté pour le passeur dans mes plans. J’ai certes plus mes notes, mais ma mémoire est quand même toujours là.

Au loin et au gré des collines, j’aperçois le pont transbordeur. Il est loin, mais son profil est facilement reconnaissable et c’est un objectif motivant. Une fois arrivé là-bas, je ne serais plus qu’à quelques kilomètres de la clôture de cette seconde journée. Je le garde en vue et il grossit au fur et à mesure que je m’en approche.

Bon, d’abord, c’est quoi un pont transbordeur ?

C’est un pont, donc conçu pour que les personnes traversent un obstacle (une rivière, a priori) mais sans obstruer le passage pour les bateaux. Rochefort avait une très forte activité maritime dans le passé, et donc il était totalement inconcevable de bloquer le trafic sur la Charente. On a donc bien un tablier suspendu très en hauteur, mais la traversée se fait à hauteur de berge via un chariot roulant tracté par un câble et posé sur le tablier.
Bref, une image vaut mieux qu’un long discours.

Le pont transbordeur de Rochefort. Ses deux pylones, sa passerelle suspendue. (routard.com)

Apparemment ça se faisait couramment avant, faute de mieux, et surtout parce que c’était probablement simple et peu coûteux à construire avec les moyens de l’époque. Pis bon, on n’avait pas besoin de dérouler le tapis rouge à des bagnoles super lourdes, donc ça faisait bien le taff pour des gens et des vélos, voire des carrioles. Une autre époque.
En tout cas, celui de Rochefort-Martrou est le dernier pont de ce type en France et est classé Monument historique. Oui, bon, voilà, les rando vélos c’est aussi du tourisme et de la culture.

Revenons-en à nos moutons. Je traverse Echillais, la ville qui m’amène au passeur. Ma trace GPS m’amène précisément à cet endroit, je ne peux pas me tromper.

Il y a bien un ponton, mais pas grand chose autour. Trois personnes âgées s’y promènent et me regardent d’un drôle d’air (bon ok, j’ai dû les emmerder à rouler sur le “trottoir” du quai en vélo). Au bout du ponton, je vois le quai d’en face, mais absolument aucune indication. Ni horaires, ni guichet, ni même le moindre bac flottant sur l’eau. Je me souviens vaguement avoir lu qu’il fallait “appeler” le passeur, ça m’inquiète un peu. Je continue à faire le tour, et sur la berge je vois un duo de cyclistes équipés pour la randonnée. “Ils viennent probablement de traverser”, me dis-je, “allons donc leur demander !”

Effectivement, ils s’y connaissent. On papote et quasiment tout ce que je sais sur le pont transbordeur de Rochefort me vient de cette courte discussion avec ces gens sympas. Il m’indique que le passeur n’est plus vraiment actif (argh) et que les seuls moyens de passer sont soit d’emprunter le viaduc (no way on a dit), soit le pont transbordeur. Je suis dubitatif parce que je ne comprends pas encore comment le pont fonctionne, mais bien évidemment je leur fais confiance. Après tout, ce sont des cyclistes. Surtout que le viaduc ne me tente pas du tout, c’est pentu, venteux, routier et m’oblige à faire un sacré détour.

De bas en haut : le pont transbordeur, le quai du passeur et le viaduc (mysteriesofthecelts.blogspot.com).

200 mètres plus loin, me voilà en train d’acheter mon ticket d’embarquement. D’autres personnes attendent avec moi. Je pose mon vélo, apparemment il faut patienter jusqu’à ce que le machiniste en face se motive à venir. Je n’attendrai pas plus de dix minutes.

Il se met en route, c’est long, mais assez intriguant. Il accoste avec bruit et on peut monter à bord après avoir fait valider notre ticket. J’installe mon vélo à l’avant, bien évidemment, et vais m’asseoir. Me voilà installé sur une nacelle suspendue à un tablier métallique flottant à 50 mètres au-dessus de la rivière. Le chariot se met en route, sans réel bruit, et le tout est fluide, agréable et… Déconcertant.

Finalement, la traversée a dû prendre cinq grosses minutes et vu l’expérience c’est presque trop court. Le temps semble quelque peu suspendu par cette drôle d’aventure, à l’image de cette douzaine d’humains transbahutés sur une frêle esquille en métal suspendue au-dessus d’une Charente bien calme. On accoste, même choc, même bruit, et on descend.

Là je suis en impro parce que ma trace GPS se trouve quelques centaines de mètres plus loin, au niveau du ponton de l’inexistant passeur. J’essaie malgré tout de le rejoindre mais c’est très compliqué et je me heurte vite aux bretelles de sortie du viaduc (NOPE). Il me suffit de suivre les panneaux indiquant le centre de Rochefort, mais ce sera de la route. Ça se fait plutôt bien, c’est pas hyper bien aménagé comme on pourrait s’y attendre, mais heureusement les gares restent des lieux plutôt bien indiqués par les panneaux de signalisation. Pas toujours, faut un peu jouer le hasard à certaines intersections, mais je finis quand même par arriver à la gare.

Pfiou, une deuxième étape de validée ! Le prochain train est dans une heure, je pose ma monture dans un coin et m’assois sur les fauteuils anti sans-abris de la SNCF. Je sors ma miche de pain, mes petits pots et je me prépare mon déjeuner.

Le train arrive, j’installe le vélo et vais m’installer sur un siège avec vue. Ce souci du détail était bien inutile, il ne me faudra pas plus de quelques minutes pour sombrer dans un sommeil total qui durera tout le long du trajet. Pas de pickvélo sur ce trajet ! Ouf.

Y a des efforts d’aménagements faits à La Rochelle, c’est pas parfait mais y a des pistes récentes et pas trop mal fichues, c’est prometteur pour l’avenir. Je suis à mon hôtel au bout d’une vingtaine de minutes et je grimace en arrivant. Une devanture un peu triste qui donne immédiatement sur un gros axe routier en 2x2 voies. Ça sent mauvais pour passer une bonne nuit, mais admettons, une bonne surprise m’attend peut-être derrière cette porte.

Je me présente à l’accueil et on m’oriente vers l’espace réservé au vélo. Chic ! On m’amène dehors, sur la cour intérieure partiellement aménagée en parking pour les voitures.
“Tu peux le poser contre le mur ici”, l’entend-je me dire. “T’inquiètes, il risque rien, on a une caméra juste ici, regarde.”
Signe de ma fatigue, j’acquiesce. Je prends quand même soin de l’attacher à un bac à fleurs (et je me rendrais compte le lendemain matin que je l’avais en fait attaché à rien du tout, encore un coup de la fatigue) et suis mon hôte jusqu’à ma chambre.

C’est petit, un peu cheap, mais le luxe n’est vraiment pas ma came de toute façon, je suis là pour m’allonger et dormir.

Néanmoins, j’ai bien l’intention de profiter de ma soirée contrairement à hier. L’objectif de l’aventure était de pédaler le matin et de se baigner l’après-midi. Il fait chaud, je suis tout transpirant, j’ai vraiment, vraiment, envie de piquer une tête dans l’océan. Je trace une route GPS vers ce qui me semble être une plage sympa (loin du port), et me mets en route. J’y suis en moins de trente minutes. J’y descends aussi prudemment que doit l’être un cycliste qui descend une pente constituée de rochers avec son précieux bagage de 15 kg sur l’épaule et me déshabille. Marcher sur des cailloux pieds nus, c’est vraiment pas l’apothéose du bonheur à ce moment-là, mais qu’importe, la sainte eau est à trois mètres de moi. J’y plonge, c’est un bonheur de dingue.

Ai-je besoin de détailler plus ? Vous connaissez cette sensation. Ce plaisir d’enfin flotter dans une eau fraîche après avoir passé la journée à transpirer au soleil. Je vais barboter facilement une heure en regardant le soleil se coucher par-dessus la dune.

Bon, par contre, on ne va pas se mentir, au bout d’un moment on s’emmerde quand même un peu, et je commence à avoir faim. J’ai une idée très précise d’où je vais manger ce soir, et je sais que le restaurant ouvre à 19h.
Je suis déjà allé à La Rochelle, il y a au moins cinq ou six ans. Il ne m’en reste pas grand chose, c’est pas tellement une ville qui m’a marquée, mais je me souviens avoir mangé un burger de fou juste avant de prendre mon train du retour. Maintenant que j’y pense, c’est drôle comme ça m’a marqué. Je me souviens de l’emplacement et même de comment y aller depuis la gare. Je me rhabille donc, retourne à la gare et me dirige de mémoire. Ça n’a pas loupé, je le trouve précisément là où je me souvenais l’avoir quitté.

Je m’installe à la table et commande évidemment leur veggie dont ils semblent très fiers. C’est pas du tout impossible qu’à l’époque mon choix se soit plutôt porté sur une recette bien moins vertueuse. Oupsie. C’est très bon, vraiment très bon, juste trop copieux. Les serveurs sont très sympas, on discute un peu, ils me demandent si je suis déjà venu et je peux donc sortir ma carte nostalgie. Evidemment, eux, n’étaient pas là il y a 5 ou 6 ans. Après leur avoir lancé un “à dans 6 ans” très enthousiaste, je me remets en route, direction le dodo.

Ca paie pas de mine, mais c'est sympa. 47 rue Sardinerie.

La troisième étape de mon voyage, demain donc, destination Les Sables d’Olonne (même un peu plus loin en vérité) était prévue pour être la pire. Tant en distance qu’en difficulté. Je laisse mon ego de côté et me dis que je pourrais raccourcir le trajet un petit peu pour me simplifier la tâche. Ça n’arrivera pas.
J’ai tout cherché : trains, bus (et même covoit’ 😂), y a pas moyen. La Rochelle et Les Sables d’Olonne ne sont pas dans la même région, exit donc les transports en commun. Après une bonne heure de recherche, je me rends à l’évidence : oui, je vais bien devoir faire cette étape de bout en bout.

Je surfe un peu histoire de me connecter à mon monde habituel et prends quelques notes (ben oui, faut bien, pour écrire ce long pavé), et me couche.

J’ai mal dormi. La chambre était abominablement surchaude et ouvrir la fenêtre, à défaut d’apporter de l’air frais, ne faisait qu’amplifier les bruits de la fameuse route au pied de l’immeuble. Il y a un nombre incroyable de motards à La Rochelle. Bref, j’ai fini par m’endormir au bout de quelques heures.

Jour 3 : le salaire de la peur

Bon, alors, cette étape de l’enfer ?
Je peux vous spoiler un peu ?
Bah ça s’est bien passé.

J’arrive à m’arracher du lit assez tôt. La pluie est battante et, par la fenêtre, je peux voir mon vélo posé contre son bac à fleurs en train de profiter de son petit nettoyage offert par dame nature. Je petit-déjeune dans ma chambre, remercie mes hôtes et décolle à 8h30 tapantes, à la fraîche. La météo est idéale : des nuages, pas de vent, une fine bruine, l’air est frais. Néanmoins, une fois sorti de La Rochelle, j’aperçois au loin une vaste éclaircie et le soleil pointer le bout de ses rayons : mon temps est compté, je dois m’approcher le plus possible de ma destination avant qu’il ne commence à taper à nouveau.

Les deux premières heures seront un vrai bonheur. Balade dans le marais Poitevin : une route de plutôt bonne qualité, il ne fait pas chaud, je suis seul et le décor est somptueux. Je longe et traverse tout un tas de canaux, longe des champs et parcours des petits villages. Là encore, c’est de la caillasse, c’est pas parfait, mais en dehors du frottement de mes pneus sur le sol et du grincement de ma transmission c’est le calme plat. Détente, zénitude, je me ressource.

Moi c'était ambiance brouillard et flaques d'eau (charlotteabicyclette.com).

Toutes les bonnes choses ont une fin et on arrive au pire tronçon de mon itinéraire de tout le voyage. Ce sera très court mais vraiment, vraiment, abominable. A la sortie d’une piste cyclable bien fichue, je suis jeté sur une départementale. Et pas n’importe quelle départementale, oh non.
La D9 / D10A.

Pour qu'il y ait du trafic sur Street View, c'est que c'est vraiment quelque chose.

Pour les connaisseurs, imaginez la rocade de Saint Maximin aux heures de pointe. Ben voilà, vous l’avez.
Je dois avoir maximum deux kilomètres à faire sur cette route et ma première épreuve va déjà être de réussir à la traverser pour me mettre dans le bon sens. C’est un flux ininterrompu de bagnoles (et camion, 😭) et j’ai littéralement attendu dix minutes avant d’avoir une occasion de pouvoir m’insérer (et encore, j’ai forcé, gnark gnark).
J’ai cherché à esquiver, impossible, mon trajet passe forcément par là. Les seuls détours possibles me rajoutent des dizaines de kilomètres, c’est inenvisageable. Le GPS ne ment pas, c’est par là. J’évalue mes chances de survie à une sur 3720 (ceux qu’ont la réf, vous êtes les vrais).

Une fois bien installé chez moi des jours plus tard, je vais regarder à nouveau cet endroit pour comprendre où j’ai pu me foirer à ce point. En fait, à la préparation de l’itinéraire, et pour m’économiser une dizaine de kilomètres, j’avais décidé de couper par cette départementale justement et donc de quitter la Vélodyssée. C’est une erreur que je ne ferais plus sur mes prochains voyages.

Donc, j’y vais. Je n’ai pas le choix et je fais en sorte que ça dure le moins de temps possible. Je me mets en mode tour de France, couché sur le vélo, braquet le plus élevé enclenché et avoine du mieux que mes jambes fatiguées le peuvent pour me caler à une vitesse de 30-35 km/h. J’hésite entre rouler quasi dans le bas côté et donc sur les peintures blanches de délimitation (le pire ennemi du cycliste, ça glisse !) et “prendre ma place sur la chaussée”, comme on dit dans le jargon. Au final, ça revient à choisir de se faire frôler par des bagnoles roulant à 90 km/h à 10 centimètres du guidon plutôt qu’à 50 centimètres. Je choisis le bas-côté.

Le flux est tellement intense que pendant les dix minutes de cette folle course il n’y a pas un moment où je ne me fais pas doubler. Malgré tout, il y a quand même quelques conducteurs attentifs qui ralentissent un peu et ça crée donc un embouteillage fluide qui m’accompagne le long de ces deux kilomètres.

On voit assez bien la différence de vitesse entre le sprint et les promenades.

Étais-je au bout de mes peines ? Oh non, même pas ! Après la traversée du pont, pratiquement la fin de cet abominable tronçon, je me rends compte que la suite de mon trajet se situe à gauche. Je dois donc traverser à nouveau la route.

Autant vous dire que je me suis arrêté sur le bas côté, attendant mon meilleur moment pour y aller, à grand renfort de signes vers les conducteurs pour les implorer de me laisser passer.
Bref, j’ai traversé, et me revoilà sur un domaine qui me plait : le retour à ce que j’avais avant. Les marais, les canaux, la solitude et le calme, loin de ce tumulte et de cet enfer motorisé, ersatz du XXème siècle.

Quelques centaines de mètres plus loin, je croise une famille en train de sortir de sa tente de bivouac et je les envie un petit peu. Les vélos posés sur le côté, le linge qui s’aère, ils se lèvent en même temps que le soleil commence à donner ses premiers rayons. Je les envie, et en même temps je me dis qu’il y a une chance sur deux qu’ils se retrouvent sur l’autoroute que je viens de traverser d’ici quelques minutes, donc je relativise ma position.
Mais le spot est vraiment chouette, il faut que je teste le bivouac.

Les petits canaux du marais sont vraiment tout mignons. Les ponts en bois ou en métal sont, eux, pittoresques. Mon trajet n’est pas efficace, je passe mon temps à slalomer, mais c’est vraiment une chouette balade. La fraîcheur aide, le terrain accidenté rend le trajet intéressant, ça change du bitume et ce n’est pas plus mal. Heureusement que j’ai mes nouveaux pneus gravel cela dit.
Je croise très peu de voitures, même au détour des grandes lignes droites qui traversent les champs. Une 208 me croise sans ralentir, roule dans une flaque et provoque un raz-de-marée qui va me tremper. En ville, j’aurais hurlé. Là j’ai rigolé. En revanche, je croise beaucoup de cyclistes solitaires, c’est toujours un moment sympa de croiser des pairs et d’échanger un petit mot et un sourire.

Ça y est, le soleil perce les nuages, la température grimpe. A la faveur d’un sous-bois et une table de pique-nique, je prends vingt minutes pour déjeuner, pile-poil à la moitié de mon trajet, à 65,7 km. J’ai un peu fait exprès, mais en même temps c’était une sacré coïncidence de trouver une table pile poil à cet endroit.

Les marais humides et agréables se transforment peu à peu en marais secs et inhospitaliers. Je profite à nouveau d’un vaste buisson de mûres (miam !) pour me tartiner de crème solaire. Mes gourdes commencent à crier famine, j’ai besoin d’eau. Dans un village, plus loin, je croise des toilettes et, ouf, pour une fois le lavabo est assez grand pour accueillir mes gourdes. Croyez-en les cyclistes, ce n’est vraiment pas le cas de tous les lavabos, loin de là !

La suite n’était pas tellement intéressante et je suis un peu en mode pilote automatique. Il me reste quand même plus de cinquante kilomètres à faire et je ne prends pas trop le temps de faire mon touriste. C’est une succession de routes peu fréquentées et de petites villes. Je me perds sans arrêt, la faute au dédale des villes et à mon GPS approximatif. Je sors le smartphone très souvent, ma batterie fond comme neige au soleil, c’est inquiétant.

Plus j’arrive vers ma destination, plus l’itinéraire est touristique. Vous connaissez ce décor : les bords d’océan ultra aménagés avec une belle promenade piétonne et sa voie verte. Oui, ben oui, voies vertes, trottoirs partagés, évidemment : pas touche à la ouature.
Je dérange des tas de piétons, j’en ai conscience et ça m’ennuie. Je m’arrêterais bien pour leur dire qu’ils n’ont qu’à se plaindre aux aménageurs qui ont la superbe idée de mixer une promenade piétonne avec un itinéraire vélotouristique européen, le tout sur environ 1 mètre 50 de large et tout ça pour ne pas rogner le moindre millimètre à la sainte bagnole, mais je ne suis pas sûr qu’ils seraient sensibles à mes arguments. Au bout du compte, ils se plaindront de toute façon des cyclistes et ces mêmes aménageurs redoubleront d’ingéniosité pour installer chicanes et ralentisseurs pour les vélos. Les cyclotouristes sauront bien à quoi je fais référence.

Dans tous les cas, je n’ai évidemment ni l’envie ni le temps de discuter. Je fais donc un maximum attention, j’anticipe et adapte ma vitesse pour les dépasser sans les frôler. D’un autre côté, je dois avancer, et écraser les freins tous les cent mètres pour accélérer juste derrière me pompera bien trop vite l’énergie qui m’est nécessaire pour parcourir les quarante kilomètres qu’il me reste.

D’ailleurs, mes jambes commencent à tirer, et ma langue fait de même. La fatigue m’assaille et je suis loin d’être arrivé.
En arrivant aux Sables d’Olonne, je commence à regretter le marais Poitevin. Les pistes cyclables et chemin de campagne ont, depuis longtemps, cédés leur place aux dunes de sable.
Je détestais les pistes en graviers, les pistes en terre. Sachez que je hais les pistes en sable.
D’ailleurs, comme le dit le slogan : tout le monde déteste la p… La piste en sable, bien évidemment.

Nan mais franchement, des pistes en sable ? Pardon ?!

Je fais une dernière pause avant le sprint final, assis sur un banc en pierre, face à la mer (alors que je rêve de mettre les aménageurs face contre terre 🎵).
La suite m’amènera à traverser des plages. Oui, oui. La pression piétonne devient forcément très importante, et je me retrouve donc à slalomer doucement entre des plagistes tout en contrôlant tant bien que mal mes pneus embourbés dans du sable. Plus l’urbanisation progresse, plus la pression piétonne augmente. Ça devient ingérable et je ne peux plus circuler normalement. Je craque et passe sur la route. Les voitures me ralentissent aussi, mais moins, et au moins je peux les dépasser sans trop me soucier de les offusquer lorsque je les rase.

Ces derniers kilomètres seront interminables, où est mon tranquille marais ? Je n’aime pas la ville en randonnée.
Je me crée un objectif débile en jetant un œil à ma montre : je n’ai pas envie que ma vitesse moyenne tombe en dessous de 20 km/h, et j’y suis précisément, donc je donne tout ce que j’ai. Par pure satisfaction personnelle et obligation cycliste, je trace et abandonne une grosse moto qui pue et qui fait du bruit dans mon rétro à la faveur d’une montée. Ma moyenne remonte à 20,1, c’est surprenant et je prends conscience de la débilité de mon comportement. Mais bon.

J’arrive enfin. Saint Hilaire de Riez. Je pose le vélo contre un mur, m’assois par terre, les jambes en travers du trottoir. Je cherche les instructions pour mon gîte du soir avec le restant de ma batterie et m’y rends. Mon hôtesse m’avait précisé que la résidence possédait un local vélo. Je vois une petite affiche sur la porte dudit local prévenant de vols récents et pousse donc mon destrier par la porte de l’appartement.
L’appartement est terriblement mignon. Tout petit, mais cute à souhait et hyper bien aménagé. La propriétaire avait pris le soin de laisser une boisson gazeuse au frais, délicate attention, je la sirote avec plaisir. Je sais où je louerais à nouveau si je refais la Vélodyssée.

Cette étape, censée être l’étape la plus éprouvante du voyage aura finalement probablement été la meilleure. Qui l’eut cru ?
Je suis même récompensé par une baignade sur une mini plage à moins de cent mètres de l’appartement. Les très hautes vagues me rappellent Surfers’ Paradise en Australie. C’est excessivement drôle, flippant et très épuisant. Au roulis de l’eau qui me chahute comme un vulgaire bout de bois sur le sable de la plage succède la terrifiante aspiration de l’océan qui me ramène au creux de la prochaine vague. J’y reste une bonne heure et demie, c’est un vrai plaisir et après 130 kilomètres sur une selle de vélo, ce lâcher prise est un bonheur total. Une vraie belle récompense.

Je rentre prendre une douche, me rends dans un restaurant italien plutôt inintéressant et vais finalement me coucher, non sans avoir au préalable geeké un peu et noté les étapes de ma journée.
Demain, la quatrième et dernière étape devrait passer comme une lettre à la poste. Je suis serein.

Ah, et j’ai horriblement mal au popotin. Promis, à mon retour je m’achète un cuissard et une nouvelle selle. Ça en fait des dépenses.

Jour 4 : 80 km, c’est pas ouf.

J’ai admirablement bien dormi. C’était calme, frais, reposant.
Pour une fois, je suis un peu déçu de déjà reprendre la route. Je me plais bien dans cet appartement et surtout j’aurais adoré retourner me baigner.
Mais le tiraillement dans les jambes me rappelle que j’ai aussi hâte d’arriver et de me poser chez moi, donc je me mets en route. Il me reste 80 kilomètres jusqu’à Pornic, une broutille par rapport à ce que j’ai parcouru depuis Bordeaux.

La suite est à l’image de ce qu’était le dernier tiers du jour précédent. C’est de la plage aménagée, large, confortable, roulante et peu fréquentée puisqu’il est encore tôt. Bien vite, un cycliste avec un beau vélo me rattrape, me dépasse, j’accélère pour rouler un peu avec lui. J’apprécie tellement cette cavalcade que j’en loupe ma sortie.

Il fait beau, le soleil cogne déjà mais la balade est vraiment très agréable. La route ne présente que peu de résistance, l’air frais me fouette le visage et je suis en pleine forme. Surtout, le panorama est magnifique. Je vois et j’entends les vagues s’écraser sur les kilomètres de plage que je longe, j’admire les remous provoqués dans les rochers qui jaillissent au gré de la houle, je m’imprègne du bon air de la mer et de son odeur caractéristique et salée.

Le trajet ne sera finalement pas si simple, je crois que j’accuse le poids des kilomètres et de la fatigue musculaire et psychologique. Sans être une épreuve, je sens que ça tire et que je n’aurais pas pu faire beaucoup plus. Mais la beauté du décor me suffit à me motiver. Surtout, je sais que malgré tout c’est mon dernier jour, donc je profite.

Je ne serais pas aidé par la réapparition des pistes cyclables en sable, ça me rend ronchon. Cette décision a probablement été prise pour ralentir les cyclistes à l’approche d’une route très fréquentée par les piétons, et oui, c’est très très efficace. Merci les aménageurs, vous supprimez ce danger mortel et implacable que représentent les vilains cyclistes pour nos amis les piétons, j’ai hâte de vous voir recouvrir les routes des villes de sable, particulièrement aux passages piétons.

Arrivé sur l’une des dernières plages, je me pense victime d’hallucination visuelle. Un cerf volant est déployé haut dans les airs et, derrière lui, tranchant avec le bleu azur du ciel, son ombre le suit. Une ombre, dans le ciel ? Mais quelle est cette sorcellerie ?
Non, bien sûr, c’est un second cerf-volant, identique en tout point sauf en sa couleur : noire. L’illusion est parfaite, est-ce voulu ? Peu probable, puisque ça ne marche que dans l’angle précis dans lequel je suis arrivé. J’aurais aimé capturer cette anomalie.
Plus loin, je fais ma dernière pause, dix minutes pour reposer mes jambes (et mes fesses) avant de terminer. Je jette un œil derrière moi : 3 autres cerfs volants se sont déployés entre-temps.

Aux plages succèdent les bois. Sous le couvert des arbres, on sent toujours le spectre des embruns mais il cède légèrement la place à la douce odeur de l’humus. Le bruit des vagues a disparu, remplacé par le plus apaisant encore bruissement des feuilles et craquement des branches. Il y a beaucoup de cyclotouristes, surtout des familles, ça rend la route très sympathique et animée.
Ça monte, et ça descend, c’est agréable et ça me rappelle encore une fois pourquoi je fais des randonnées en vélo. Ce sera clairement l’un des meilleurs aménagements de ce voyage.

J’arrive au pont de Noirmoutier. Je ne ferais que le voir de loin, mais beaucoup de personnes s’y rendent. Probablement une prochaine fois pour moi. Moi, je traverse la ville pour me mettre dans l’axe d’une dernière traversée des marais.
Je me souviens avoir vu, sur ma trace GPS, qu’après les marais m’attendait une grande portion de route, la dernière du périple. C’est pas forcément le plus agréable en fin de parcours, c’est souvent monotone et peu confortable. On est obligés de rouler assez vite, y a peu d’endroits sympa pour s’arrêter et ça requiert pas mal d’attention pour rester à l’écoute de ce qui arrive derrière. Tant pis, c’est comme ça. Comme d’habitude sur ce genre de route, je me penche en avant, j’augmente le braquet et je fais fonctionner les jambes. Plus vite fait, plus vite quitte. La route est belle, mais peu passionnante.

Au détour d’un village, sur un carrefour embouteillé par quelques voitures (il en faut peu …), je me prends le chou avec un automobiliste Vendéen. Il est dans son SUV Dacia moche, je suis sur mon frêle vélo, il a la tête et le comportement de celui qui pense être le mâle Alpha de la ville, je laisse tomber et le regarde s’éloigner en trombe, lui et sa virilité supposée. Soyons positif, ce sera la seule fois en 500 kilomètres que ça m’arrivera, un record qui n’arrive qu’en randonnée.

Plus loin, enfin sorti du domaine des bagnoles, un sentier me fera longer un champ d’éoliennes. Je ralentis un peu pour contempler ces géants de métal. On ne se rend compte de la hauteur, de la longueur des pales et surtout de la vitesse à laquelle elles fendent l’air que quand on se retrouve à leur pied. C’est réellement impressionnant et presque déstabilisant, on se sent tout petit.

Vrouf ! Vrouf ! Vrouf !

Après les créations d’Eole, on retourne du côté de Poséidon en longeant un canal en bord d’océan. Je rencontre un couple de cyclistes avec qui je peux un peu papoter. Ils sont en train d’effectuer l’inverse de mon trajet : ils habitent Bordeaux et se rendent à Nantes pour prendre le train et rentrer chez eux. Apparemment, ils ont pris plus de temps pour faire le même trajet que moi, mais je peux les comprendre, je ne trace que quand je suis seul. Ils sont forcément bien moins épuisés que moi et tiennent une meilleure allure, je leur dis au revoir tout en me remettant à ma vitesse. On se recroisera peut-être à Pornic (non) !

J’aborde le dernier tronçon du voyage, ce sera donc de la route communale à partir des Moutiers en Retz, pas dégueu mais pas franchement intéressante. Je reconnais un bout du chemin, je suis déjà passé par là à l’occasion d’un C’est Pas Ouf. Je suis dans le sens inverse, mais je sais que c’est pile poil à la moitié, au départ de la pause du midi. Bon, cette fois, je suis clairement moins nombreux.

La route jusqu’à Pornic sera une succession de montées et de descentes, l’occasion de se dégourdir une dernière fois les jambes puis j’arrive enfin à ma destination. Je lâche tout histoire de bien profiter et dépenser les dernières calories accessibles à mes quadriceps. De grandes lignes droites, du beau bitume, je fais la course avec les voitures qui n’ont aucune chance en ville. Une grande descente m’amène à la gare, je rentre presque en vélo à l’intérieur, porté par mon élan (et un peu mon envie d’en finir, quand même).

Le prochain train pour Nantes est dans 45 minutes, j’ai le temps d’aller me balader un peu. De mémoire, je sais qu’il y a une Fraiseraie sur les quais et, oui, je sais, c’est industriel, c’est des glaces, c’est pas ouf mais… C’est mon plaisir coupable.
Mais, à cette heure, combien de temps vais-je devoir faire la queue ?
En fait, pas longtemps. Comme d’habitude, à la Fraiseraie, les sorbets sont pris d’assaut mais les glaces italiennes sont boudées. Comme ils ont le bon goût d’avoir deux files, je n’attends que peu, et ça tombe bien parce que je préfère largement leurs glaces italiennes.

Je m’installe sur un banc à côté, mon destrier occupe la majeure partie de la place. Au bout de quelques minutes, deux motards et leur motarde s’installent sur le banc d’en face. Je regarde leur tenue : grosses godasses qui sentent l’essence, blouson en cuir super épais, casque intégral. Je pense à ma tenue : t shirt malodorant, short et baskets, puis regarde le ciel : pas un nuage, un soleil de plomb. Je savoure ma liberté et la simplicité de mon voyage autant que mon cornet fraise-vanille.

L’heure de mon train approche, j’installe ma monture et me laisse tomber dans un siège. J’ai presque les yeux qui se ferment d’eux-mêmes. Je n’ai toujours pas de smartphone pour m’occuper donc je m’intéresse à la vie des gens dans la rame. Mes oreilles captent la petite histoire de mes jeunes voisins attablés : un de leur copain joue à cache-cache avec la contrôleuse. Il finira par s’enfermer dans les toilettes jusqu’à la fin du voyage et je prends pitié des passagers pris d’une envie pressante et leur explique la situation.
J’entends le fraudeur discuter au téléphone avec ses potes depuis son trône et je repense à toutes les fois où j’ai moi-même fraudé le Amiens-Creil, transformant un simple trajet de 45 minutes en un abominable tord-boyaux à forcer de flipper de voir apparaître les contrôleurs. Le souvenir me fait sourire, et je me rappelle alors que les transports publics devraient être gratuits.

Le voyou et moi descendons à Rezé, notre chemin commun n’ira pas plus loin. Par bonheur, et je le mentionne parce que c’est rare, un tout petit panneau indique la direction à vélo pour le centre de Nantes. Très vite, je me retrouve sur le pont réservé aux connaisseurs et à ceux qui suivent les panneaux, le Pont de Pornic, pour traverser le bras de Pirmil.

Ah, depuis que je sais qu'il existe celui-là..! (vagabondage-dune-reveuse.net)

C’était rapide, me voilà enfin dans mon quartier. Bordeaux me semble loin.
Avant ma douche, je commande à manger, je l’ai bien mérité. Mince, non, je ne peux toujours pas payer en ligne. J’enfourche mon autre vélo, le Triban aura bien mérité de s’arrêter là et je ne suis pas sûr de réussir à le motiver pour ressortir de toute façon, et vais me chercher à manger moi-même.

Ce repas est une délivrance, le sommeil qui le suivra sera une bénédiction.