Wrovember 14 Novembre 2023

Consigne

Type : histoire courte (un début et une fin)
Genre : mythologie
Contrainte 1 : 30 minutes max
Contrainte 2 : pas de contrainte 2

Texte

“Arrête de me reprocher sans cesse la même chose !”

Le cri perçant, la plainte arrachée, l’angoisse exprimée de la jeune femme avait soudainement fait frémir jusqu’à la dernière brindilles du plus éloigné cyprès de la mégastructure. Le silence s’était soudainement fait. Alors que la faune de la journée, épuisée de sa journée d’activité laissait progressivement sa place aux créatures de la nuit à mesure que le Soleil descendait dans le ciel pour percuter l’horizon et que les divers bruitages animaliers commençaient à s’entremêler, tous les acteurs de la nature s’étaient soudainement tu, sidérés par l’appel à l’aide ayant déchiré l’atmosphère.

Dans ce dédale de résineux conçu tant pour le divertissement populaire que pour l’appât touristique et que pour la glorification du savoir faire de la commune, les rires et les peurs simulées avaient laissés leur place à la demi pénombre et au calme, à mesure que les badauds avaient quitté ses allées.

Rien ni personne n’allaient donc être les témoins de l’altercation entre Ariane, jeune femme habituellement enjouée, aujourd’hui terrorisée, et Simon, jeune homme charmeur et autoritaire.

“Mais c’est bien parce que c’est TOUJOURS la même chose avec toi que je passe mon temps à te le répéter.” Lui aussi criait, en marchant tranquillement à sa suite tandis qu’elle tentait de s’enfuir, le visage scrutant chaque virage en quête d’une issue. “Mais quelle merveilleuse idée de nous embarquer dans ce truc en fin de journée ! Je dois te rappeler qui va devoir payer la caution si on ne rend pas la voiture à temps ?”
“Arrête, j’en peux plus, arrête”.

Ariane sanglotait, les mains désormais écrasées contre ses oreilles pour le faire disparaître, au moins pour le bien de ses tympans et de son esprit. Un coude appuyé contre la haie terriblement bien taillée pour la faire paraître telle un mur infranchissable, elle était complètement perdue. Perdue, car la sortie lui échappait totalement. Voilà maintenant trop longtemps qu’elle s’était aventurée dans quelque chose dont elle ne parvenait plus à sortir.

Epuisée, elle pivota sur elle-même un instant, avant de s’effondrer et de glisser le long du cyprès pour se retrouver à terre, les jambes recroquevillées. Elle ne l’écoutait plus, mais l’entendait toujours crier.
“… et ça c’était toi aussi ! La fois où on est arrivés hyper à la bourre et qu’on s’est affichés devant tout le monde, c’était la faute à qui ? La tienne !”

Il se rapprochait d’elle, pointant un doigt accusateur. Il était dans un état de rage au moins équivalent à son état de détresse. Il ne semblait pas s’inquiéter le moins du monde du fait qu’elle était maintenant affalée au sol, complètement incapable de se relever, de retirer les mains de ses oreilles, de comprendre ce qu’il lui assainait ou même de le fuir. Un bref regard à droite ne lui dévoila qu’une longue allée dont on ne voyait plus le bout. On ne pouvait que deviner les virages perpendiculaires qu’ils avaient probablement déjà parcourus ensemble depuis des heures, cherchant leur sortie.

Simon faisait les cents pas à ses pieds. Hurlant, baissant d’un ton, ricanant. L’intonation de sa voix changeait à chaque instant rendant son discours parfaitement incohérent.

Il s’arrêta soudainement, sa logorrhée brutalement interrompue par quelque chose qui échappa à Ariane. Elle revint à ses esprits, ouvrit ses oreilles juste à temps pour l’entendre chuchoter un bref “j’ai entendu quelqu’un”.

Il se pressa vers le couloir le plus proche, tandis que l’obscurité l’engloutit à demi à mesure qu’il s’éloignait, puis s’arrêta à nouveau pour écouter. Elle tendit l’oreille à son tour. On entendait effectivement quelqu’un, ou quelque chose. Des pas lourds, traînants, qui s’amplifiaient alors qu’ils approchaient. Ces bruits de pas n’étaient pas ceux d’une chaussure foulant l’herbe, mais rappelaient à Ariane de lointains souvenirs. Des bruits de sabots raclant le sol terreux, mais dont le rythme n’avait rien à voir avec ce qu’elle connaissait. Plus régulier, plus léger, plus binaire.

Simon eut un mouvement de recul accompagné d’un faible hoquet de stupeur. Il sembla tétanisé par ce qu’il venait d’apercevoir et ne parvint à faire quelques pas en arrière qu’au bout de longues secondes. Les bruits de sabots s’amplifièrent et s’accélèrent. D’un lointain pas, ils se transforment rapidement en galop.

Et du galop, ils devinrent une charge.

Une ombre gigantesque surgit de l’ombre et empoigna le jeune homme, le fit traverser l’allée en un éclair pour l’encastrer contre le mur végétal. La silhouette le maintenait, enfoncé dans les branchages, une main autour du cou et les pieds flottants un bon mètre au-dessus du sol. Ils restèrent dans cette posture telles deux statues, l’un immobile et terrible, l’autre gigotant et suffoquant.

Puis, l’intrus pivota et le projeta au sol. Simon paraissait être une marionnette désarticulée, l’autre homme le dominait de sa hauteur colossale. Il ploya le genou et, de sa main jusque-là tranquillement posée contre son pagne, se saisit de sa longue hache à double tranchant furieusement jetée à terre lors de sa charge. Sa victime eu à peine le temps de se retourner vers Ariane, de gémir quelques appels à l’aide ou à la pitié, que le géant avait déjà levé haut le bras et l’avait rétracté avec le même geste implacable, le tranchant de sa lame fauchant l’air jusqu’à rencontrer la nuque pour libérer corps et esprit.

Ariane, tétanisée, sentit le temps s’arrêter autour d’elle. Incapable de crier, incapable de bouger, incapable de penser, elle se contenta de garder le regard fixé sur le corps inerte de son compagnon. Elle ne fut arrachée de sa torpeur que par le souffle grave et menaçant de la bête en face d’elle. Levant la tête, elle eut le temps d’apercevoir le fin nuage de condensation quitter son corps chaud par ses larges narines pour rencontrer l’air frais de l’obscurité naissante.

L’individu, tour à tour, contemplait son oeuvre et dévisageait la jeune femme terrifiée. Puis, il pivota les sabots et s’enfuit par le même couloir que par lequel il était arrivé.

Son galop dura quelques secondes et s’évanouit dans la nuit. Ariane, elle, avait déjà rejoint l’inconscience.